Dimanche 17 décembre 2017, 1h45 UTC, François Gabart vient de franchir la ligne d'arrivée virtuelle d'un tour du monde (ir)réel, bouclé en moins de 43 jours soit 6 jours de mieux que le précédent record de Thomas Coville datant de moins d'un an. Comme pour beaucoup d’événements sportifs, beaucoup s’émerveillent et analysent la performance, évidement exceptionnelle. Pour ma part, j'en resterais à ces informations principales pour mon concentrer sur ce qui m’intéresse le plus : quel est le chemin qu'a parcouru François Gabart pour en arriver là. Autrement dit, quel leadership incarne François Gabart ? Les deux questions sont similaires car dans le leadership, ce qui compte est le chemin, pas la performance ou la destination.
Il est un François qui conseillait d’aller aux périphéries. Sans vouloir absolument faire de parallèles discutables, François Gabart est allé aux périphéries des océans, de la technique et de lui même pour s'offrir ce record du monde à la voile et en solitaire, le jour du 81ème anniversaire d'un autre François : le Pape... Aller aux périphéries pourrait être un manuel d'utilisation à l'école des leaders : quelles périphéries je souhaite visiter ? Comment je m'engage ? Qu'est ce que j'y apprend pour moi et pour les autres ? S'extraire de sa zone de confort, des connaissances acquises et de ses propres limites pour entreprendre et accomplir l'incroyable. François Gabart l'a fait et a réussi, à seulement 34 ans.
Première étape : "Rêver large"
Avant d'agir, il faut penser et rêver l'action. François Gabart a su très tôt construire cette large vision, hors des sentiers battu. Il aurait pu avoir une vie classique, toute tracée. Mais non. Armé de sa fidèle amie, la volonté, François Gabart façonne sa vision des grandeurs. C'est le propre des leaders, ils prennent très tôt conscience de qui ils sont, de leurs talents et choisissent d'embrasser leur vocation. Cette vocation il faut se donner les moyens de la servir au quotidien et une vision suffisamment grande pour se dépasser, se motiver et motiver les autres à rejoindre le projet du leader.
"Là où se trouve une volonté, il existe un chemin".
Winston Churchill
Deux vertus caractérisent les leaders : humilité et magnanimité. La magnanimité, la tension de l'être vers les grandes choses, est la force, la qualité, au cœur de l'action des leaders. Avoir de grands rêves et développer cette capacité de passer à l'action. Dans le cas du skipper Macif, ce qui est impressionnant et troublant c'est que l'histoire semble écrite et que le scénario se déroule parfaitement. "C'était écrit" pourrait-on dire dans une tentation d'évidence rétrospective... dans l'auto-biographie du skipper, Rêver large, parue en 2016, 3 ans après sa victoire au Vendée Globe. Ce tour du monde était déjà prévu puisqu'il venait de mettre à l'eau son trimaran avec lequel il a remporté la transat anglaise 2016. Comme une prophétie auto-réalisatrice. François Gabart semble avoir établie une vision et découvert sa vocation mais François Gabart ne semble pas pour autant avoir découvert une mission spécifique à l'image d'Ellen MacArthur, qui a découvert la sienne après sa carrière de navigatrice. Voici ce qu'il écrit :
"Je suis un passionné. Cette flamme est mon moteur. J'espère garder cette énergie en moi le plus longtemps possible. Je ne peux pas la contrôler, je ne sais pas où elle va me mener. Mais je veux me laisser conduire par cette vibration. Peut-être vais-je continuer la course au large pendant de nombreuses années. Mais je peux aussi élargir mon domaine".
Rêver large (page 271).
Étape 2 : s'engager
"N'ayez pas peur", telle était l'injonction d'un autre Pape, Jean-Paul II. Ce qui caractérise un leader, c'est qu'il s'engage. S'engager, c'est prendre des risques et se porter caution (se mettre en gage) auprès de soi-même et des autres. Sans forcément avoir une vision claire du chemin, le leader commence à marcher et invite les autres à le suivre. Après avoir navigué avec les plus grands, puis avoir été accompagné, notamment par Michel Desjoyeaux au sein de Mer agitée, François Gabart prend son indépendance et entreprend. L'humilité du leader, c'est accepter ses limites et bien s'entourer pour aller plus vite et plus loin. François Gabart le formule ainsi dans le dernier chapitre, "Rêver plus large", de son livre :
"Entreprendre
J'aime monter les projets qui me permettent d'aller au bout de mes idées. Constituer une équipe, dépasser les difficultés, se battre ensemble pour aller au bout de nos ambitions. J'ai toujours aimé l'idée de créer ma propre histoire, ma propre structure (...). MerConcept n'a pas dégagé beaucoup d'activité et de revenus pendant ses premières années, mais elle était le socle sur lequel je pouvais m'appuyer pour élaborer mes rêves de course au large".
Rêver large (page 268).
Le leader a besoin d'une équipe qui s'engage dans un cadre clair, une structure, pour pouvoir grandir. Les similitudes entre l’ascension d'Ellen Mac Arthur et celle de Gabart sont très intéressantes. L'anglaise est très jeune lorsqu'elle monte sa structure avec l'aide d'un certain Mark Turner. C'est cette structure et son équipe qui lui permettront une telle ascension. Savoir bien s'entourer est un talent ou une compétence que possède le marin professionnel. Il travaille avec les meilleurs et les meilleurs acceptent de travailler avec lui car il dégage une cohérence et une exemplarité rare, autre caractéristiques des leaders. Il serait impossible d'oublier Macif dans cette histoire, ce partenaire qui a accepté d'accompagner et de financer les rêves de Gabart. Ce groupe fait partie de l'histoire du marin.
Étape 3 : Rayonner et faire rêver !
Lorsque l'on rêve, que l'on s'engage et que l'on réussi, notre leadership grandit. Le leader brille, pas pour aveugler ou pour son propre égo, mais pour éclairer et guider. Comme un phare. Et pour faciliter le passage à l'action de ses "followers".
Dans le cas des sportifs haut-niveau, ce qui impressionne, c'est leur capacité à repousser leur limite physiques et mentales.
Dans le cas des marins, ce qui impressionne, c'est leur capacité à repousser les limites technologiques avec l'aide de leurs équipes.
Dans le cas des skippers qui font le tour de monde, ce qui impressionne, c'est cette capacité à vivre en aventurier, avec les contraintes naturelles de l'environnement.
La réussite de François Gabart, c'est donc cette capacité à repousser et à dompter ces limites : humaines, technologiques et naturelles. C'est ce qui rend son exploit beau et grandiose. C'est ce qui inspire. C'est ce qui donne envie de s'engager pour découvrir et repousser nos propres limites, à découvrir nos périphéries. Aujourd'hui, le phare Gabart rayonne et avec lui toutes les personnes ou organisations qui l'ont aidé et qui s'associent à cette réussite.
Étape 4 : Transmettre et rêver encore plus large...
J'en suis convaincu, ce qui compte c'est le chemin. Les leaders ne considèrent jamais qu'ils sont arrivés au bout d'un chemin ou de leur chemin. Dans les jours à venir, François Gabart partagera avec nous ce qu'il a vécu et appris sur les étapes de son chemin, les personnes qui l'ont aidé à grandir et qu'il a fait grandir. Les limites qu'il a su appréhender et repousser pour réussir. Puis, je l'espère, il se remettra en chemin vers une nouvelle aventure, un nouveau rêve, peut être une mission qu'il aura formalisée. Il pourra s'appuyer sur un socle, encore plus solide, pour rayonner et guider à nouveau.
Le philosophe Vincent Cespedes fait cette distinction intéressante entre passion et ambition. La passion, c'est vouloir. L'ambition c'est vouloir vouloir. Je suis persuadé que "Rêver large" est une ambition chez François Gabart et pas une simple passion que ce tour du monde aurait permis d'assouvir.
Bonus : François Gabart, un parcours de leader en une image.
Dans mon travail sur le leadership, j'ai formalisé un outil qui permet d'avoir une approche systémique du leadership. Cet outil, la "Boussole PHAR" est composé :
- de trois cercles (Identité, Engagement et Rayonnement du leader)
- de quatre quadrants P-H-A-R (Potentiel - Humain - Ambition - Responsabilité).
L'idée de cet outil est de pouvoir diagnostiquer le leadership de chacun et analyser la cohérence des parcours des leaders. Deux sens de lecture existent, par cercle (processus itératif de constitution de l'identité, de la façon de s'engager puis de rayonner) et par quadrant (de l'intérieur vers l’extérieur). Voici le modèle et en dessous les principaux éléments du parcours de François Gabart.