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Que penser d’Airbnb et quel leadership incarne son fondateur, Brian Chesky ?

Exemple d’un modèle d’engagement hors norme.

14 août 2018
Je n’arrivais pas à me faire un avis. Que penser d’Airbnb ? Que penser ce ce business model génial qui a révolutionné l’hébergement à travers le monde en moins de 10 ans. Quelles sont les motivations réelles de ses 3 fondateurs ? Sont ils sincères lorsqu’ils prétendent être habités d’une mission pour Airbnb :

“Être chez soi partout dans le monde”.

Introduction facultative

(Cette introduction vise simplement à montrer que je n’étais pas un grand fan d’Airbnb avant de lire le premier livre consacré à ce phénomène entrepreneurial)

Emmanuel Marill, lui, semblait être convaincu par la mission d’Airbnb. En novembre 2016, fraichement nommé CEO France d’Airbnb, il débarque au Startup Palace à Nantes pour une “masterclass”. J’ai perçu cette soirée comme le pitch commercial du géant de l’hébergement alors que le programme annoncé était le témoignage d’un entrepreneur. Les dés étaient peut être pipés avant même qu’il ouvre la bouche car j’avoue que j’étais plein d’a priori et de questions en venant à la soirée. Deux en fait.

Ma première interrogation était de percevoir la bonne foi d’un collaborateur qui a enchaîné les organisations sans rester plus de 3/4 ans dans la même entreprise et qui rejoint une organisation auto-proclamée comme étant “mission-driven”. Ses expériences étaient dans des secteurs variés, chez des acteurs dont les missions sont, a priori, très différentes : LVMH — Roland Berger — Groupon — Facebook puis Airbnb. Le nouveau CEO d’Airbnb France partageait-il réellement la mission d’Airbnb sur le fond, et sur la forme, c’est à dire, sa première motivation à rejoindre l’entreprise était-elle sa mission ? Mais passons, cela ressemble à un procès d’intention dont je ne suis pas friand, et sur le fond chacun, heureusement, change de perception de son travail au fil de ses expériences. Néanmoins, j’étais sceptique quand à la sincérité, en général, d’Airbnb par rapport à cette mission annoncée.

Les nouvelles Conditions Générales d’Utilisation qu’un utilisateur (locataire ou voyageur) est obligé d’accepter et qui venaient d’être publiées (fin 2016) étaient ma seconde préoccupation. Et là, les réponses du CEO d’Airbnb France m’ont beaucoup déçu. Par exemple, il ne voyait pas ce qu’il y avait de bien-pensant dans le fait d’énoncer qu’un hôte ne peut avoir d’attitude discriminatoire (selon les lois d’un pays d’ailleurs, donc pourquoi en rajouter ?) mais qu’il à le droit (dans le paragraphe suivant des CGU) d’exiger que les voyageurs mangent casher ou vegan dans son logement. Je trouve cela gênant, sans parler du fait que, données à l’appui, Airbnb peut donc analyser votre prétendue discrimination alors qu’un droit qui me semble légitime est d’accueillir qui l’on veut chez soi. Néanmoins, ces règles pourraient paraître justes et légitimes dans les pays occidentaux, la question est plutôt de savoir si c’est le rôle d’Airbnb, un acteur privé, de prendre position sur ces sujets et de faire évoluer les lois et les comportements. Selon moi, cette question est encore plus complexe dans d’autres pays pour lesquels on n’est pas loin du flou artistique total (toujours dans les CGU) :

Consignes spécifiques destinées aux hôtes en dehors des États-Unis et de l’Union européenne
En dehors des États-Unis et de l’Union européenne, certains pays ou certaines communautés peuvent autoriser ou même obliger les personnes à prendre en compte certains critères pour accepter une réservation (par exemple, la situation de famille, la nationalité, le genre ou l’identité sexuelle), ce qui va à l’encontre de notre politique de non-discrimination. Dans ce cas, nous ne demandons pas aux hôtes d’enfreindre la loi ou d’accepter d’héberger des voyageurs qui pourraient les exposer à un risque avéré de détention ou de dommages envers eux-mêmes ou leurs biens. Les hôtes qui résident dans les pays concernés doivent mentionner ces restrictions concernant leur capacité à héberger certains voyageurs dans leurs annonces afin que les éventuels voyageurs soient informés du problème et qu’Airbnb puisse confirmer la nécessité d’une telle action.

On était donc encore bien loin du “être chez soi partout dans le monde”, la mission annoncée d’Airbnb. Mission qui, par ailleurs, interroge : fondamentalement est-ce souhaitable d’être chez soi partout dans le monde ?

“Comment trois jeunes ont disrupté un secteur, gagné des millions…et créé la polémique”

Bref, le sujet m’agaçait et me rendait de plus en plus sceptique vis à vis d’Airbnb. Mais 18 mois plus tard (ces derniers jours donc), je décide de lire “Airbnb Story” de Leigh Gallagher paru en France aux éditions Dunod.

Par curiosité, pour me laisser la possibilité de changer d’avis, mais aussi pour mieux comprendre l’aventure entrepreneuriale au delà de ces questions de sens et de mission.

Et c’est justement sur ces questions de mission, de sens, de culture, de valeurs, d’engagement et de leadership que repose le succès, plus complexe qu’il n’y parait, d’Airbnb. Ce livre est donc passionnant d’un point de vue entrepreneurial mais également sous l’angle du leadership et de l’engagement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je lui consacre ce billet sur ce blog du Club ARMEN.

Une aventure entrepreneuriale extra-ordinairement classique.

“Élevé” à la culture startup par The Family, j’ai retrouvé dans les premiers chapitre du livre, l’excitation que laissait transparaitre d’Oussama Amar, l’un des co-fondateurs de The Family, lorsqu’il évoquait Airbnb. Ces premiers chapitres décrivent les étapes classiques d’une startup : comment les fondateurs se sont rencontrés, ont eu l’idée d’Airbnb, on fait face aux premières difficultés, ont trouvé leur product market/fit et ont séduit leurs premiers investisseurs. Toutes ces étapes sont relativement classiques dans l’entrepreneuriat numérique. La richesse du livre réside dans les détails et les exemples qui montrent la façon dont les 3 fondateurs ont su gérer ces étapes. Le succès d’Airbnb repose sur la capacité d’adaptation des fondateurs et la façon dont il font évoluer leur idées, font face aux critiques et aux difficultés, en un temps record et malgré la diversité des enjeux. Ce que je retiens du livre c’est que l’ampleur du succès est liée à cette capacité de répondre aux enjeux complexes, peu importe leur nature : technique, humaine, liée à la confiance, administrative, légale, finalement peut importe, la rage d’innover et l’agilité des fondateurs est ce qui a rendu l’aventure Airbnb possible et extraordinaire.

Le livre permet également de prendre conscience qu’Airbnb ne se contentera pas d’être un acteur de l’hébergement mais bien du voyage, au sens large.

Le chapitre 7 : “l’apprentissage du leadership”

C’est ce chapitre, l’avant dernier, qui m’aura le plus marqué et sur lequel j’ai décidé de m’étendre ici. Il montre que c’est grâce au leadership complémentaire du trio de fondateurs qu’Airbnb a pu décoller. Comme le proclame The Family à propos de l’entrepreneuriat :

“80% des erreurs peuvent être évitées”.

Après plus de deux ans d’études et des recherches pour comprendre les mécanismes du leadership et de l’engagement dans les organisations, j’ai la conviction qu’il en est de même pour cette “discipline”. Cette conviction a été confrontée à la réalité grâce à de nombreux échanges avec des dirigeants, notamment à bord de The Bridge, et avec chercheurs et des professionnels du leadership et de la motivation en entreprises.

Nous pouvons dresser un certain nombre de constats et de “best practice” en matière d’engagement et de leadership. Ce qui est impressionnant dans le cas d’Airbnb, c’est que les décisions et les comportements du trio fondateurs illustrent parfaitement ces best practices.

  1. Le leadership, ça s’apprend.

Vous l’aurez compris, ma “culture startup” a été largement façonnée par The Family. Pour ce qui est du leadership, mon mentor est Alexandre Havard qui a crée le système du leadership vertueux. L’idée du leadership vertueux, qui est en fait sous-jacente dans tous les modèles de leadership et de management, c’est que notre personnalité est faite de deux éléments. Le premier est notre tempérament, qui est plutôt naturel et que nous ne choisissons pas. Le second est le caractère, sur lequel nous pouvons travailler pour développer de bonnes habitudes et devenir meilleur. Le leadership serait donc une question de caractère, sur lequel nous pouvons travailler. Le leadership est donc quelque chose qui s’apprend, pourvu qu’on le décide. Il est important de préciser que devenir meilleur n’est pas un but en soi. La finalité du leadership n’est pas de se développer personnellement mais bien de grandir en faisant grandir les autres au service d’une mission partagée. Dans le système du leadership vertueux, l’idée est donc de travailler sur son caractère en travaillant sur 6 vertus. Les vertus d’humilité et de magnanimité étant les deux vertus qui seraient propres aux leaders. Ce que conseille Alexandre Havard et qui relève du bon sens, c’est de s’entourer de personnes qui nous inspirent pour créer un environnement magnanime autour de nous afin de progresser.

J’en arrive à mon premier point : la première qualité de Chesky est d’admettre qu’il ne sait rien, qu’il n’a quasiment pas d’expérience, il développe donc le réflexe de demander conseil et de s’entourer des meilleurs experts sur les sujets qu’il aborde ou auxquels il est confronté. Cette capacité à demander à la bonne personne, au bon niveau, s’avère être une arme redoutable au service du développement d’Airbnb.

Il ignorait tout du monde de l’entreprise, (…), ne sachant pas au début ce qu’était un business angel ou une présentation powerpoint, il s’est rapidement formé pour apprendre à diriger une entreprise (…)

— Introduction p19.

Savoir s’entourer et écouter est une chose, c’est d’ailleurs le premier pilier de la vertu de prudence qui permet de bien discerner. Le second pilier étant de prendre la bonne décision. L’un des traits de caractère du fondateur d’Airbnb est cette capacité à demander de l’aide, à écouter, à chercher à comprendre pour ensuite discerner et prendre les bonnes décisions.

“J’avais moins de connaissance que Joe et Nate (…) Je m’efforçais de compenser en me rendant indispensable et cela m’a conduit à m’intéresser à la construction de l’entreprise”. 

— Chapitre 1 : la rage d’innover p39.

L’un des premiers à leur faire confiance sera Paul Graham, le fondateur de Y Combinator, il leur ouvrira ensuite les portes du réseau Y Combinator.

Brian Chesky développe donc son leadership qu’il devra rapidement affirmer lors des premières difficultés et crises traversées par l’entreprise. C’est à ce moment qu’il fait des choix et décide, parfois à l’encontre de certains conseils. Ce sont ces crises et ces décisions qui lui permettent de développer la vertu de magnanimité et qui l’encouragent à viser toujours plus haut !

Ces décisions venaient à l’encontre des préconisations de ses conseillers. “tout le monde me disait qu’il fallait d’abord discuter ou tester, et je répondais “non, nous allons procéder ainsi”. Il suivit un seul conseil, celui de Marc Andreessen, qui relut attentivement le document à minuit, conseilla à Chesky d’indiquer sa propre adresse email sur la lettre d’excuses, et ajouta un zero au fond de garantie (en cas de détérioration d’un appartement ndlr), les 5000 dollars prévus devenant 50 000 dollars. Chesky tira de cet épisode un enseignement majeur : cesser de rechercher le consensus avant de prendre une décision. “Dans les moments de crises on aboutit souvent à une solution intermédiaire, qui se révèle la pire” expliqua-t-il.
“Il faut choisir d’aller à droite ou d’aller à gauche”.
A partir de ce moment, “ajouter un zéro” devint une expression maison signifiant passer à un niveau de réflexion supérieur. Chesky dira plus tard que cette expérience a été “une renaissance” pour l’entreprise.
 — Chapitre 2 : bâtir une entreprise pp77–78.

Outre la prudence, la vertu de courage dont fait preuve Chesky est également impressionnante. Courage qui s’illustre par l’audace dont il fait preuve et par l’endurance et la résilience qu’il développe pour faire face aux crises et aux difficultés.

Joe Gebbia et Nate Blecharcysk ont également su se remettre en question, apprendre et adapter leur leadership au développement fulgurant d’Airbnb. Le chapitre 7 détaille les styles de leadership très différents des deux autres fondateurs. Ce qui impressionne, c’est la complémentarité des styles de leadership du trio fondateurs propres aux talents de chacun. Gebbia pour les idées, Nate Blecharcysk pour la technique et le développement produit et Chesky pour le développement global de l’entreprise, il est d’ailleurs décrit par certains de ses proches comme “un animal apprenant” ayant une curiosité quasiment maladive.

2. L’importance déterminante de la culture

Au fil du livre, on découvre la place prépondérante et l’importance de “la culture” chez Airbnb. La culture est pour moi le socle d’une entreprise, ce qui apporte du sens aux clients et collaborateurs et qui permet l’engagement. Dans le cas d’Airbnb, les trois fondateurs décident d’en faire l’un des piliers du développement de leur organisation. La mission et les valeurs sont la base de la culture Airbnb :

“Toutes ces entreprises avaient défini une mission reposant sur un ensemble de valeurs fondamentales, de principes généraux guidant leur comportement interne, leur relations avec leur clients, les actionnaires et les autres partie prenantes. Les valeurs fondamentales sont considérées comme des “à-côtés” dans la Silicon Valley. Mais les spécialistes du comportement organisationnel les jugent indispensables pour identifier les profils de recrutement à privilégier, et estiment préférable de les définir dès la création de l’entreprise.
Chesky, Gebbia et Blecharczyk ont décidé de définir les valeurs fondamentales de l’entreprise avant d’effectuer le premier recrutement. Ils ont établi dix principes qui s’expriment à travers des mots d’ordre du type : “travailler comme une bête de concours”, “créer un esprit de famille”, “être passionné par Airbnb”. (Ces valeurs seront remplacées en 2013 puis affinées et redéfinies en 2016)” 
— Chapitre 2 : bâtir une entreprise p58

Après s’être appuyés sur les valeurs et la culture pour développer Airbnb, les fondateurs ont eu à cœur de formaliser leur mission d’entreprise (en juillet 2014) :

“Être chez soi partout dans le monde”

Puis ils ont cherché à expliciter ce que voulait dire cette mission, ce travail effectué en interne et auprès de plus de 300 membres de la communauté révèle que la mission d’Airbnb est de créer un sentiment d’appartenance par le voyage, sentiment qui se développe à travers l’expérience Airbnb.


“Ne sabotez pas la culture”
Les jeunes fondateurs ont invité Peter Thiel (investisseur dans Airbnb depuis 2012 ndlr) à visiter leur bureau et Chesky lui a demandé des conseils. Thiel s’est contenté de cette réponse laconique :
“Ne sabotez pas la culture”. Il leur a dit que la culture d’Airbnb était l’une des raisons qui l’avaient convaincu d’investir mais ajouta que dès qu’une entreprise atteint une certaine taille, elle finit inévitablement pas sacrifier sa culture. Chesky y vit un défi qu’il se promit de relever et porte depuis une attention maniaque à la culture d’Airbnb. “Si vous détruisez la culture, vous détruisez la machine qui fabrique vos produits”, a-t-il écrit dans un post de blog. “Plus la culture est forte, disait-il, plus vous pourrez faire confiance à vos salariés, constater qu’ils agissent comme ils le doivent, et moins vous devrez multiplier les processus et les règlements. Et quand les processus sont limités, il devient plus facile de superviser l’ensemble de l’entreprise et de créer des conditions favorables à l’innovation”.
Selon Chesky, la seule façon de ne pas saboter la culture d’entreprise est de la considérer comme une priorité et, bien entendu, de la concevoir soi-même. Cette ambition a représenté pour Airbnb un champ d’action majeur. Voilà pourquoi en 2015, devant l’ensemble du personnel, Chesky a déclaré que la survie de l’entreprise n’était pas menacée par les réglementations, mais qu’elle serait en danger le jour où chacun aurait perdu sa capacité à être “fou”. Voilà pourquoi il adressait tous les dimanches soir à ses équipes des e-mail frénétiques. Voilà pourquoi, jusqu’à ce que le personnel atteigne plus de trois cents salariés, il conduisait en personne tous les entretiens d’embauche”. 
— Chapitre 7 : l’apprentissage du leadership pp 212–213.

Au delà de formaliser une mission et des valeurs, Chesky et l’équipe dirigeante s’efforce de traduire ces éléments en rituels d’entreprise qui incarnent la culture Airbnb au quotidien. Par exemple : les membre du board doivent s’appeler au moins une fois par semaine ainsi que chaque membre de leur équipe.

 

J’espère que cet article vous a plu, qu’il vous a permis de mieux comprendre l’aventure entrepreneuriale d’Airbnb et les mécanismes d’engagement et de leadership sur lesquels elle repose. De mon côté je suis — évidemment- impressionné par cette aventure mais me pose la question de savoir s’il est fondamentalement souhaitable que nous nous sentions chez nous partout dans le monde. Il me semble que cette ambition d’Airbnb passe nécessairement par une forme d’harmonisation (“d’occidentalisation”) des modes de vie qui font la richesse et la diversité du monde dans lequel nous vivons, affaire à suivre !

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