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Génération Rubalise : l'urgence d'être responsables

27 novembre 2020

Tout commence un samedi matin du « monde d’avant ». Je cours le long de la Chézine à Nantes. J’aperçois alors un arbre couché au sol, probablement tombé il y a quelques jours. Banal me direz-vous. Sauf que cet arbre est entouré de rubalise. Quelle improbable image.

Ma première pensée est de trouver cela ridicule voire troublant. Pourquoi ne pas laisser les personnes, les enfants, libres de jouer sur cet arbre, d’escalader. Et puis je pense aussi à la personne ou aux personnes à qui « on » a demandé de mettre de la rubalise autour de cet arbre. Imaginez cette scène : "ta mission aujourd’hui c’est de baliser cet arbre". Improbable.

Voila où nous en sommes : prévenir les risques. Vous me direz que ce n'est pas très grave. Quel est le problème ? Le problème, selon moi, c’est notre rapport à la responsabilité. Le problème, c’est le cadre collectif qui est posé, et que l’on accepte.

Et s’il n’y avait pas eu de rubalise ? On aurait donc imaginé qu’il y avait le « droit » de jouer sur cet arbre, sans danger. Rentre alors en jeu la responsabilité parentale de laisser son enfant jouer. Mais comme nous sommes sur un terrain public, c’est la responsabilité de la mairie qui est en jeu en cas d’accident. Raisonnement légaliste qui enlève la responsabilité des parents, lesquels se seraient probablement retournés contre la mairie à défaut de se dire qu’ils avaient engagé leur responsabilité de parents. Et puis fin ultime du raisonnement : de toute façon, il y a les assurances. Assurances "responsabilités" civiles et professionnelles, auto, santé, habitation ... Allez-y, on vous couvre ! A force de sortir couverts, on étouffe et on délègue notre responsabilité.

Quand mon propos concerne un arbre, ce n’est pas très grave, je vous l’accorde. Le problème est le raisonnement global sous-jacent à cet exemple. Nous raisonnons en terme de droit (de règles) et de risques (d'assurances). C’est de cela dont je veux parler dans cet article : Quel est notre rapport à la liberté, et à la responsabilité. Comment appréhender nos droits et nos devoirs ? A qui et comment acceptons-nous de déléguer notre responsabilité ? Dans quelles situations sommes-nous acteurs responsables ou consommateurs « encadrés » ? Quelles situations ou règles nous invitent à avoir ce raisonnement qui consiste à trouver des coupables pour tout et tout le temps, à défaut de faire, d'agir et d'assumer ?

Toujours dans notre exemple de l’arbre, s'il n'y avait pas eu de rubalise, cela veut donc dire que « je suis libre (!) » de monter dessus, et puis d’ailleurs "qui a mis cette rubalise qui m’empêche de monter sur cet arbre" alors que je devrais être libre de le faire ! Si cette rubalise existe, c’est que ceux qui l’ont mise se disent que nous ne sommes plus assez responsables pour nous laisser monter dessus. Le risque serait-il trop grand ?

Cela peut paraître très étrange, mais j’en ai assez de la façon dont nous définissons et vivons la liberté aujourd'hui. Nous ne sommes pas libres si nous ne sommes pas responsables, de nos paroles et de nos actes. Nous ne sommes pas libres si nous vivons dans un environnement « rubalisé » qui nous empêche d’être responsable. Si nous ne pouvons plus décider de monter ou non sur l’arbre, si nous ne posons pas nos choix, ne prenons pas nos propres risques. A l'inverse, et à l'image de la personne en charge de sécuriser l'arbre : qu'acceptons-nous de faire au quotidien qui contraint d'autres personnes et les empêchent d'exercer leur responsabilité et donc leur liberté. Cette question se pose dans le cadre de notre famille, de notre entreprise, et ailleurs. Être libre, ce n'est pas faire ce que l'on veut, c'est vouloir ce que l'on fait. Encore faut-il pouvoir faire quelque chose !

« Ironie » de la situation, nous sommes aujourd’hui confinés, nous ne sommes plus à l’extérieur de la rubalise mais à l’intérieur. Cela fait réfléchir sur notre liberté individuelle, sur nos libertés collectives (de mouvements, de culte, de consommation, de réunion, …). Cela fait réfléchir sur nos responsabilités individuelles et collectives. Cela fait réfléchir sur nos droits et nos devoirs de consommateur (qui je veux soutenir), et de travailleur (qui je veux servir). Quelles règles, quelles limites, quelles frontières sommes nous prêts à accepter ? Dans quelle mesure acceptons-nous d'être infantilisés ? A quel point sommes-nous devenus incapables de décider et d’apprécier le niveau de risque acceptable ? Qui laissons-nous décider si nous pouvons monter sur un arbre ? A quel point sommes-nous influençables et conscients des rubalises de notre monde ?

Il y a les rubalises digitales. A quel point suis-je influencé par ce que je lis, ce que je regarde sur ma télé, mon ordinateur. Les rubalises digitales, ce sont les algorithmes des GAFAM et autres plateformes digitales, qui vous emmènent à coup de cliques et de CGU où elles veulent que vous alliez : vers « le panier ». Grâce aux données que nous leurs offrons.

Et puis maintenant, il y a les rubalises sanitaires, toutes ces règles pour rester en bonne santé. Cela devient un but en soi : « être en bonne santé ». On se targue de vouloir être écologistes et d’observer la nature mais on en oublie que les microbes, les maladies, la mort sont jusqu’à preuve du contraire « naturelles », et que si nous voulons continuer à « vivre », il faut vivre avec.

Je ne détaillerai pas ici les rubalises intellectuelles sur ce qu'il convient de penser et de dire et le fait que les espaces d'échanges, de dialogues et de débats sereins semblent de plus en plus rares. Je ne parlerai pas non plus des rubalises sécuritaires censées nous protéger collectivement.

Vous trouverez peut être que je vais un peu trop loin mais qu’importe, cela permettra d’ouvrir le débat. Perico Légasse, dans son essai A table citoyens ! évoquait le "camp de consommation qui nous soumet à la grande distribution, financiarise notre alimentation, ruine nos artisans, éradique notre agriculture paysanne et empoisonne notre environnement". C'était en 2016. Je vous laisse le loisir de compléter la liste.

Quatre ans plus tard, nous y sommes, « en guerre », enfermés dans notre camp de consommation sanitaire où nous devons être en bonne santé pour pouvoir continuer de consommer, chez nous, attendant notre prochain colis Amazon, notre prochain repas Deliveroo et le début du prochain épisode de notre série Netflix. Interdiction de sortir notre rubalise domestique. Mais heureusement, pas de rubalise sur les sapins, nous ne sommes pas passés loin ! Impatients comme des enfants avant Noël attendant le prochain "20h" pour savoir ce que nous aurons le droit de faire et les prochaines règles absurdes que nous devrons respecter.

Certains pensaient que sous les pavés il y avait la plage et la liberté. Une plage avec des rubalises, c'est un bac à sable. Voulons-nous continuer à être "libres" comme des enfants ?

Ce constat fait naître différentes réactions chez nous. La colère, la résignation, le relativisme, le cynisme, l’action, ... Dans un cet article, je soumets quelques propositions pour mettre fin à cette « guerre » particulière et tenter de sortir du camp de consommation.

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